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Partout dans Rome, les monuments sont couverts d’inscriptions, antiques ou modernes, qui ne rapportent pas uniquement le nom de leur constructeur, mais célèbrent leur restauration. À l’image de Sixte IV, les papes urbanistes du Quattrocento et du Cinquecento se sont présentés avant tout comme des restaurateurs, quand bien même ils modernisaient la ville. Ce n’est pas une spécificité de la Renaissance : les empereurs antiques se voulaient déjà des reconstructeurs, tels Auguste réparant tous les temples délabrés de la Ville d’après les Res Gestae ou Septime Sévère, Restitutor Vrbis d’après son monnayage. Sans multiplier les exemples, il semble que Rome soit une ville qu’il faille sans cesse restaurer, reconstruire, faire renaître. Dans la veine des études sur le patrimoine et la mémoire dans l’espace urbain, sur la résilience des villes après des catastrophes, de plus en plus d’historiens s’intéressent à la question de la restauration. Cette rencontre a pour but d’étudier comment, durant toute l’histoire de Rome, de l’Antiquité au XXIe siècle, les notions de restauration ou de reconstruction ont été à la fois un moteur de l’urbanisme romain, un programme politique des pouvoirs publics et un idéal partagé ou non par les différents acteurs de la ville.
Ce colloque se propose d’envisager trois pistes de réflexion.
- La première consiste en la mise en évidence et l’examen de programmes de restauration ou reconstruction de la ville de Rome et de ses monuments. Il s’agirait d’en évaluer l’ampleur, parfois en confrontant les projets et les réalisations effectives, mais aussi de prêter attention aux modalités concrètes de leur mise en oeuvre : financement des travaux, déroulement des chantiers, création d’outils spécifiques. Les aspects les plus paradoxaux, comme les destructions commises au nom de la restauration ou la modernisation présentée sous couvert d’un retour à un état ancien, seront bienvenus. On se demandera de même si, à l’inverse, l’idée de rénovation a pu constituer un frein à la mise en oeuvre d’une réelle restructuration urbaine. Les cas les plus éclairants seront donc privilégiés, en gardant une approche à l’échelle de la ville ou du quartier plutôt qu’en examinant tel ou tel édifice particulier.
- Le deuxième enjeu est celui des significations politiques de la reconstruction de Rome. Dans quelle mesure et selon quelles modalités les projets de restauration entrent-ils en résonance avec des programmes politiques plus généraux, par exemple le rétablissement de l’État et des traditions sous les empereurs romains, le raffermissement du pouvoir pontifical aux époques médiévale et moderne ou encore la redécouverte de la Rome classique (républicaine ou impériale) de la « période Française » au régime fasciste ? Quel est le lien entre la dimension pratique, concrète et les valeurs symboliques de cette restauration ? S’agit-il toujours de tendre vers un même idéal, de revenir à une même époque ? Ces questions sont intimement liées à la manière dont l’idée de Rome a pu évoluer, dès l’Antiquité jusqu’à aujourd’hui. On évitera néanmoins une lecture trop métaphorique de la notion de restauration, de renaissance ou de retour au passé : les communications proposées devront toujours mettre en relation les idéologies avec des travaux effectifs ou du moins des projets de rénovation matérielle.
- Enfin, le dernier axe à envisager est celui des relations entre les projets de reconstruction et les différents acteurs de la ville (pouvoir central, municipal ou spirituel, experts, habitants, etc.) ce qui revient à prendre en compte les revendications, les conflits, les résistances. Dans une certaine mesure, l’exigence de retour à une forme ancienne de la Ville peut être une demande de certains habitants face aux projets édilitaires des papes, aux politiques de modernisation des pouvoirs publics ou aux transformations induites par les impératifs économiques. Les humanistes, comme Flavio Biondo, appellent ainsi à protéger Rome contre la violence de ses propres habitants et des papes eux-mêmes ! L’idée que les Romains auraient été dépossédés de leur propre cité et, partant, de leur propre passé, devient un lieu commun dès la fin du Moyen Âge. Dans la deuxième moitié du XXe siècle, des associations de protection du patrimoine (comme Italia Nostra) et des intellectuels (comme Antonio Cederna) ont contribué à l’émergence d’une revendication sur le démantèlement des aménagements fascistes de l’area centrale de Rome, pour mieux mettre en valeur le patrimoine historique. On examinera ainsi qui sont les promoteurs et les destinataires du geste de restitution.
Les participants sont également invités à prêter attention dans leur communication à la terminologie et aux concepts utilisés : il conviendra d’interroger et d’historiciser les termes de reconstruction, restauration, rénovation, restitution, etc., en se demandant s’ils sont interchangeables ou s’ils ont une signification spécifique, tant dans les sources que dans les catégories forgées par les historiens. Cette rencontre permettra de réfléchir aussi bien à la production de l’espace urbain qu’aux discours sur la ville.
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Le colloque, organisé dans le cadre des activités du LIA Mediterrapolis – Espaces urbains, mobilités, citadinités. Europe méridionale-Méditerranée. XVe-XXIe siècle, et co-financé par le Centre Roland Mousnier, se tiendra les 30 et 31 octobre 2019 à l’École française de Rome et à Sapienza Università di Roma. Les communications sont acceptées en anglais, français ou italien.
Les propositions de communication (500 mots) seront à envoyer avant le 1er février 2019, accompagnées d’une brève bio-bibliographie (150 à 200 mots), à l’adresse suivante : reconstruire.rome(at)gmail.com.
Les participants bénéficieront d’un hébergement à l’École française de Rome ainsi que d’une contribution aux frais de transport.
Une sélection des communications sera prise en compte pour une éventuelle publication.
- Comité d’organisation
Bruno Bonomo (Sapienza Università di Roma), Charles Davoine (École française de Rome), Cécile Troadec (École française de Rome)
- Comité scientifique
Martin Baumeister (Deutsches Historisches Institut in Rom), Bruno Bonomo (Sapienza Università di Roma), Sandro Carocci (Università di Roma Tor Vergata), Amanda Claridge (Royal Holloway, University of London), Charles Davoine (École française de Rome), Chiara Lucrezio Monticelli (Università di Roma Tor Vergata), Jean-Claude Maire Vigueur (Università Roma Tre), Cécile Troadec (École française de Rome), Vittorio Vidotto (Sapienza Università di Roma), Maria Antonietta Visceglia (Sapienza Università di Roma)
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