Programme | EFR, CVZ

Pauper

Les pauvres ne forment pas un groupe social. Ils constituent cependant une catégorie omniprésente dans la société qui ne peut pas être bien comprise si l’on ne comprend pas les mécanismes de production de la pauvreté de même que les problèmes idéologiques qui leur sont liés. Le projet se propose d’étudier les mécanismes de production de la pauvreté entre IXe et XVe siècle, c’est-à-dire durant la période de forte croissance qui marque la fin du haut Moyen Âge et le Moyen Âge central et durant la période difficile qui clôt la période, et ce jusqu’à la reconstruction de la seconde moitié du XVe siècle.
La pauvreté que l’on entend étudier s’identifie à la misère et à l’indigence, c’est-à-dire à la pauvreté économique, celle qui résulte de l’insuffisance des revenus. La première partie de la période considérée a vu à la fois croître la richesse globale de la société et le nombre de ceux dont les revenus sont trop faibles pour assurer la subsistance. La question est à aborder du double point de vue de la propriété et de la rémunération du travail. Si, en ce qui concerne la première période, l’appauvrissement des travailleurs se confond avec l’histoire de la seigneurie, il sera nécessaire de repérer et de mettre en lumière les effets sociaux d’une augmentation du prélèvement concomitant de l’accélération d’un phénomène de concentration foncière. D’autre part, la période de pleine croissance, en bouleversant les rapports entre villes et campagnes a produit des situations de pauvreté jusque-là inédites. On pense en particulier à celles qui sont nées dans la campagne romaine, à partir du XIIIe siècle, dans le cadre de ce que l’on appelle désormais l’incasalamento. D’autres situations méritent l’attention : les conséquences sociales de l’appoderamento de l’Italie du Nord et du centre, celles de la fondation des cascine de la plaine du Pô ont été abordées par les historiens (G.Rippe, G. Cherubini, G. Pinto) , mais ne sont pas connues dans le détail. Enfin, il y a aussi dans la conjoncture de 1300 récemment étudiée par Monique Bourin et son équipe des aspects concernant la pauvreté dont la synthèse demande encore à être faite. Les disettes répétées ont sans doute affaibli physiquement les populations atteintes. Ont-elles aussi entraîné la perte ou l’affaiblissement de leur capital d’exploitation d’une part et engendré de nouveaux transferts fonciers, répondant à des ventes de famine ? La réponse n’est pas assurée et la question de l’affaiblissement des communautés rurales, de l’appauvrissement de leurs membres, doit encore être approfondie, dans le prolongement et à la lumière des travaux sur la disette dans la conjoncture de 1300. Le but de l’enquête est, après avoir cerné les groupes concernés d’étudier les stratégies de survie mises en œuvre, en liaison avec ce que nous savons maintenant du salariat. 
L’autre grande question à aborder est en effet celle du salariat, tant urbain que rural, et donc des niveaux de vie atteints par la population laborieuse durant la phase de croissance. Il faut, ici, s’appuyer sur les travaux déjà anciens s’interrogeant sur la question (de La Roncière, Balestracci) et partir à la recherche de catégories sociales particulières, comme celle des pauvres honteux, que les institutions caritatives doivent rechercher, qui travaillent mais n’ont pas de gains suffisants pour survivre. La  documentation narrative fait parfois allusion d’une manière qui n’est pas toujours très claire à ces situations : les miracles alimentaires des hagiographies, lorsqu’il s’en trouve, atteignent parfois ces personnes cachées. Les pauvres honteux sont parfois les moins malaisément secourus, parce qu’ils sont recherchés par les institutions spécialisées et notamment par les aumôneries épiscopales ou des confréries comme, à Florence, Or San Michele. Cette forme de pauvreté peut être compatible avec l’exercice de la mendicité. Ch. de la Roncière ainsi constatait qu’une forme de division du travail semblait s’effectuer dans certains couples, entre un homme qui travaillait en chambre et son épouse qui allait à la recherche de secours, en sollicitant protecteurs laïcs et ecclésiastiques, mais en faisant appel aussi à la charité. 
Il n’y a sans doute pas moyen de mesurer l’importance quantitative de la mendicité. En revanche, on peut tâcher d’énumérer et d’étudier les nombreux moyens mis en œuvre pour survivre. Le travail est naturellement la question essentielle. Un point en particulier doit être vérifié. On admet en général que, à la campagne, il est avisé d’accepter une succession de petits travaux qui assurent un revenu irrégulier, mais au total élevé, plutôt qu’un poste fixe de valet dans une ferme pour lequel la considération est basse et le salaire annuel peu important. Cela est-il toujours vrai ? En particulier est-il avéré que les pauvres acceptent n’importe quel type de travaux afin de s’assurer au coup par coup, au jour le jour, la détention des quelques pièces de monnaie nécessaires à leur survie, ce qui signifie à la fois l’alimentation mais aussi le vêtement et le logement ? Bref, les stratégies de « débrouille » doivent être mises au jour et leur efficacité évaluée, dans la mesure du possible. Parmi celles-ci, une doit encore être approfondie : le rapport aux objets et en particulier aux objets usagés dont on fait commerce. Le recours au marché de l’occasion est général et touche toutes sortes de choses, les vêtements étant les premiers concernés. 
Le lien entre le travail et la pauvreté doit constituer l’un des fils directeurs de la réflexion. Il s’agit, bien sûr, de rencontrer les travailleurs pauvres, mais, plus profondément, de se pencher sur l’agency des pauvres et sur les voies qui s’ouvrent à eux pour agir sur leu propre destinée : la charité demandée et octroyée n’épuise pas la question et, par conséquent, il s’agit pour renouveler la question, de considérer les pauvres comme des sujets qui agissent en fonction de leur volonté et de leurs capacités de réaction face à des situations fortement contraintes. 
La seconde question qui s’impose est celle que l’on peut décrire ainsi : déclassement, disqualification, exclusion. Comment les trois termes s’articulent-ils l’un à l’autre et quelles ressources sociales, professionnelles ou autres peuvent-elles être mobilisées pour éviter les situations extrêmes, à savoir la marginalisation et la chute dans la délinquance ou la criminalité ? 
On désire donc étudier un problème d’histoire sociale dont les données économiques commencent à être bien connues. C’est de la pauvreté subie, enfin, que nous voulons parler, de celle qui est la conséquence de mécanismes sur lesquels les individus n’ont prise que marginalement. Nous exclurons, par conséquent, tout ce qui a trait à la pauvreté choisie et laisserons de côté les questions de la charité déjà amplement étudiées voici 30 ans par l’entreprise de M. Mollat. 


Calendrier du projet :

2 réunions par an. L’une du comité d’organisation (L. Feller, S. Carocci, A. Rodriguez, C. Laliena, Pascual Martinez Sopena, Matthieu Scherman), l’autre étant un atelier de format 20 personnes : 10 communications, 10 discutants. 
2017 : janvier ou février. Atelier n°1: Travail et pauvreté au Moyen Âge. Responsables, Laurent Feller, Matthieu Scherman (Lieu : Ecole française de Rome)
2017 février ou mars : Bilan de la table-ronde, préparation de la réunion n°2
2018, printemps. Atelier n°2 : L’appauvrissement. Responsables, Sandro Carocci et Pascual Martinez Sopena (Lieu : Casa de Velazquez). 
2018, automne. Bilan de l’atelier n°2, préparation de l’ateier n°3.
2019, printemps. Atelier n°3,  Pauvretés médiévales. Responsables, Ana Rodriguez et Carlos Laliena (Lieu : Casa de Velazquez). 
2019, automne. Réunion de bilan. Préparation du colloque final. 
2020, printemps : Colloque synthétique impliquant les autres aires culturelles méditerranéennes (Byzance, Islam, monde juif) : Les économies de la pauvreté au Moyen Âge (Lieu : Ecole française de Rome)
2020 automne: Réunion du groupe de travail. Préparation de la publication, choix du plan, choix des auteurs, définition des groupes de travail, commande des articles
2021 : remise du manuscrit. 


Responsables du projet :

Laurent FELLER (Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne/LAMOP)
Ana RODRIGUEZ (CSIC-Madrid)
Sandro CAROCCI (Université Roma 2)

Partenaires du projet :

Ecole française de Rome
Casa de Velázquez
CSIC (Madrid)
UMR 8589/Lamop
Université Roma 2
Université de Milan
Université de Valladolid
Université de Saragosse